Mort subite chez le sportif

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Ce week-end, un jeune joueur de foot du centre de formation du Havre est mort, retrouvé inanimé chez ses parents. Dimanche, un cycliste de Paris-Roubaix a fait un arrêt cardiaque sur son vélo, en pleine course. En un mois, cela fait désormais quatre sportifs de haut niveau décédés, victimes de problèmes cardiaques soudains. Le sport professionnel, de par ses évolutions, serait-il devenu dangereux pour le cœur ? Entretien croisé avec deux médecins.

Xavier Jouven est chef du pôle cardiologie à l’hôpital européen Georges-Pompidou et directeur du Centre d’expertise de mort subite. Emmanuel Orhant est médecin, directeur médical de la Fédération française de football.

Xavier Jouven : Des morts subites, il y en a 40 000 par an en France, et on constate à peu près 800 morts subites de sportifs par an. Dans ce lot-là, il y a à peu près entre 10 et 20 morts subites de sportifs de haut niveau. Cela touche donc beaucoup plus les amateurs, mais évidemment pour des raisons médiatiques, on parle beaucoup plus des professionnels. On commence enfin à en parler parce qu’il y a les réseaux sociaux, la télévision… La population a décidé de s’en emparer, et c’est une bonne chose. Pendant très longtemps, on a eu une politique de l’autruche concernant la mort subite, on a dit que c’était une belle mort, qu’on n’y pouvait rien, que c’était des ruptures d’anévrisme… Cela permettait de pas s’en occuper.

Quels sports sont les plus touchés ?

X. J. : Sans surprise, c’est la course à pied, le cyclisme et le football. Mais ce sont aussi les trois sports les plus pratiqués en loisir, donc forcément… Ce que l’on peut dire aussi, c’est que les femmes sont les moins touchées. 5 % des morts subites dans le sport concernent les femmes.

Les amateurs sont donc les plus touchés…

E. O. : Oui. Le problème, c’est celui qui va faire son footing le dimanche le lendemain d’une soirée arrosée, qui fume, et qui va se dire qu’il va se « décrasser » de la semaine. Ou le tennisman qui va faire son match l’été, qui n’a pas fait de sport pendant un an, et qui fait un malaise…

L’augmentation des cadences, les rythmes effrénés demandés… Le cœur est-il préparé à cela ?

X. J. : Cette question se pose, mais honnêtement, je ne sais pas y répondre. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on avait réalisé une enquête sur le Tour de France. On avait repris l’ensemble de tous les cyclistes français depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et on s’était aperçu que leur taux de mortalité était inférieur de 35 % que la population générale dans leur catégorie d’âge respective. Cela veut dire que le sport de haut niveau n’est pas dangereux.

E. O. : Les chiffres ne vont pas dans ce sens. Pour la Fédération, un groupe de recherche basé à Nancy analyse tous les électrocardiogrammes et échographies cardiaques de tous les joueurs de L1 et L2 depuis dix ans. Et actuellement, on n’est pas vers une évolution cardiaque péjorative. On a des adaptations, on voit que le cœur s’adapte, mais on n’a pas trouvé dans l’analyse du cœur de facteur de risque lié à la pratique du sport de très haut niveau. Effectivement, les charges de travail font que le corps est plus sollicité. C’est davantage l’intensité des matchs et des entraînements qui nous oblige à être en alerte. Mais heureusement, la science nous permet de mesurer des charges de travail, et de proposer des périodes de repos à des sportifs qui seraient en difficulté. Après, la question que l’on se pose, elle est donc plutôt chez les jeunes qui commencent à s’entraîner avec les pros. Est-ce que pour eux, l’adaptation du cœur ne se fait pas trop vite ? Sur un pro, on sait qu’année après année, on a une évolution qui se fait correctement. Mais pour un jeune de 16-17 ans, est-ce que la marche n’est-elle pas trop haute quand il passe du rang amateur à celui de pro ? 

 

Pour au moins deux d’entre eux, on a parlé de malformations cardiaques indétectables…

X. J. : Je dois reconnaître que les capacités actuelles de la médecine sont un peu prises en défaut dans l’identification des gens à risques. Le bilan classique permet de détecter certains cas, chez les sportifs de haut niveau, mais il ne permet pas de détecter tous les cas. Nous n’avons pas les moyens médicaux actuellement de faire de la détection sûre à 100 %. On n’a pas assez de connaissances. Malheureusement, on va très loin dans les explorations, les résultats sont négatifs, et la personne peut quand même décéder d’une mort subite. La médecine d’aujourd’hui n’est pas encore au point pour détecter tous les gens. Cela participe au diagnostic, mais ça ne suffit pas.

Y a-t-il une forme d’impuissance ?

E. O. : C’est l’humilité du médecin. Malheureusement, on n’a pas toutes les solutions. Et puis, quand vous rentrez dans une maladie, un jour vous ne l’avez pas, et le lendemain vous l’avez… Si c’est un diabète, un jour vous faites un malaise, vous allez à l’hôpital, et vous êtes soigné. Mais si c’est une maladie cardiaque, un jour vous n’avez pas de problème et le lendemain vous pouvez mourir. Il y a la possibilité, grâce aux gestes qui sauvent, d’empêcher ça, mais malheureusement tout le monde ne sait pas les faire. Et, nous n’avons pas toujours la possibilité d’être à côté de la personne qui va rentrer dans sa maladie cardiaque et faire un malaise. Surtout que ce n’est pas toujours visible.

Les mentalités changent un peu, avec l’arrivée des défibrillateurs…

X. J. : Oui, on en installe enfin… Il n’y a pas encore de texte l’obligeant dans les stades, j’avais essayé rtant, mais ça a toujours été refusé. Or, on voit bien que c’est cela qui marche. Cela avance sur la base du volontariat, ça fonctionne, et ça me ravit. On réussit à sauver beaucoup de vies, plus qu’auparavant, grâce à cela. On est en train de gagner cette bataille. Maintenant, je demande souvent aux gens s’ils pensent que c’est possible d’organiser une compétition sportive s’il n’y a pas d’extincteur ? Les gens me disent que c’est impossible, bien sûr. Il n’y a eu aucun mort suite à des incendies. Et les défibrillateurs, eux, ne sont pas obligatoires. Et il y a eu peu près 400 morts subites dans les gymnases et stades.

Le sport diminue les risques cardiaques, normalement…

X. J. : Oui, effectivement. On se doit de rappeler que dans quelques dizaines de cas, le sport déclenche certes une mort subite qui serait de toute façon probablement survenue quelques mois après. Mais ce qui est dangereux, vraiment, c’est de ne pas faire de sport ! Le nombre de mort subite enregistrée parce que les gens n’ont pas fait de sport est beaucoup plus important. Le sport est justement quelque chose de très important pour diminuer le risque global de maladie cardio-vasculaire. C’est le moyen probablement le plus efficace.

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